Je suis une femme, maman d’une petite fille (enfin d’une adolescente à présent mais je ne me suis pas encore totalement habituée à l’idée). Ma réflexion sur le contenu des livres n’est pas directement apparue à sa naissance mais pas loin. Dès le départ, je voulais lui montrer des personnages féminins « forts » car j’étais convaincue qu’avoir un personnage principal différent, ça compte. C’est-à-dire avoir accès à un personnage principal qui nous ressemble mais surtout à des personnages qui ne se ressemblent pas tous.
Ça veut dire quoi un personnage principal différent ?
Différent est à entendre ici en dehors de la norme, en dehors de ce que l’on voit principalement. Pour résumer, il s’agit d’avoir un personnage qui ne soit pas un garçon blanc de classe moyenne, un garçon le plus souvent en bonne santé et sans problème de poids.
Ça laisse quand même de la marge.
Pourquoi ça compte ?
Il est question ici de livre miroir, un concept assez simple qui signifie que l’enfant peut s’identifier au personnage principal. Il suffit de lire des biographies ou juste des interviews d’hommes voyageurs pour voir qu’ils ont tous lu Jules Verne et ont rêvé de tels voyages extraordinaires. Les femmes voyageuses ne citent jamais Jules Verne ou alors pour dire « je l’ai lu mais je n’avais pas envisagé que je puisse être concernée ».
Quand on discute d’un point de vue féminin, qui est le mien, on s’entend tout de même dire que cette vision oublie la magie des mots. Les bons auteurs, les bonnes histoires, transcendent le genre et on peut tous s’imaginer Harry Potter ou Capitaine Nemo.
Ce que j’aimerai bien savoir c’est pourquoi, si cette identification est si facile, les parents de garçons et les garçons eux-mêmes refusent les livres avec des personnages principaux féminins. J’ai eu la remarque lors d’un anniversaire (Je ne sais pas si je vais le lire, c’est un truc de filles car effectivement, il y avait une fille sur la couverture). Je l’ai aussi eu en club lecture pour le magnifique roman En apnée : c’était trop de la fiction, impossible d’entrer dans le roman alors que c’est une fille qui parle. Une remarque qu’aucune fille n’a jamais émise pour des textes avec des garçons dans les rôles principaux.
Quand on parle du fait que l’égalité homme-femme n’est pas possible, j’entends toujours parler du fait que les femmes tombent enceintes et les hommes sont plus forts. Mais il faudrait peut-être ajouter dans cette liste que les femmes ont plus d’imagination ou de capacité de projection…
Cet effet miroir est trop souvent limité à des personnages principaux féminins / masculins. On retrouve ensuite le même profil culturel, la même couleur de peau, le même contexte socio-économique. Cela vient entre autres des choix des éditeurs francophones de concentrer les récits entre les mains d’un type d’auteurs précis, d’ailleurs même les histoires avec des héros noirs sont souvent écrits par des blancs (comme l’héroïne Alma de Timothée de Fombelle).
Mais qu’en est-il des enfants lecteurs qui ne sont pas blancs, qui ne sont pas de classe moyenne, qui ne sont pas valides ?
Y-a-pas que les témoignages qui comptent !
Pour chercher des textes avec des personnages différents, la facilité est de se tourner vers des récits qui sont proches des témoignages.
Le héros principal gros se fait harceler. L’adolescent noir est abattu par un policier. L’enfant sourd raconte sa scolarité dans un système peu adapté. Etc. C’est sympa pour le lecteur blanc et valide qui découvre une autre approche du monde et de la société. En fait, c’est même important d’y avoir accès, mais jusqu’ici on parlait de livres miroirs, de ceux qui nous inspirent.
Alors où est l’enfant gros qui intègre une école de magie ? (en dehors de l’un des romans de Maëlle Desard)
Où est l’adolescente noire qui possède de super-pouvoirs ? (en dehors des séries comme Akata Witch et Onyeka)
Où est l’héroïne avec un handicap invisible qui se bat contre des vampires ? (en dehors de l’un des romans jeunesse de Cordélia)
Oui je sais, certains romans existent déjà mais ils ne sont pas suffisants puisque je peux les regrouper dans des articles de sélection et m’entendre dire que j’ai dû travailler dur pour en avoir autant. D’ailleurs ils sont là : une sélection avec des héros handicapés et une autre liste de livres avec des héros non-blancs.
Imaginons l’inverse
Imaginez un seul instant une personne, un CDI, une bibliothèque de quartier qui n’aurait que des livres avec des personnages noirs ou pire, dans le contexte actuel, que des hommes/garçons musulmans. Le monde entier crierait au scandale, au renversement culturel, à la misogynie… pour rester dans des termes polis.
C’est pourtant ce qu’il se passe dans un grand nombre de bibliothèques, familiales ou non. Les héros sont tous blancs, issus d’un même milieu. Car si on n’y prête pas attention, par ricochet statistique, c’est ce qu’il se produit.
On ne devrait pas avoir à prêter attention au genre, à l’origine, à la religion, à la couleur de peau, à la santé d’un personnage au moment d’acheter un livre.
On ne devrait pas.
Mais l’état de la production littéraire (jeunesse ou non), fait que si on veut avoir chez nous un certain équilibre, il faut y penser au moment de l’achat. Peut-être qu’ainsi, les éditeurs évolueront et alors on n’aura plus à y penser.
Et tant que ça ne changera pas, il faut parler en termes de personnage principal différent, s’y intéresser et les faire connaître.