Qu’est-ce que le jeu risqué ? Interview de la cofondatrice d’une aire de jeux unique

Connaissez-vous la notion de risky play ou jeu risqué ? Je dois commencer par vous dire que je n’aime pas trop le terme qui me semble mettre l’accent sur le danger. Qui a envie que son enfant prenne volontairement des risques ? Pourtant, en prenant le temps de se renseigner et de comprendre qu’est-ce que le jeu risqué, on voit vite que cela permet surtout d’évaluer les risques (qui sont présents au quotidien, en traversant une rue fréquentée par exemple) et de prendre les décisions adaptées.
En cherchant à en savoir plus sur le sujet, j’ai découvert le compte Instagram Les Enfants Dehors qui est une véritable invitation à passer du temps dehors. Saviez-vous que lors des jours d’école, une étude de 2006* a mis en avant que 39 % des enfants de 3 à 10 ans ne jouaient jamais en plein air ! Et il n’y a que 50 % des enfants qui jouent en plein air au moins 2 jours d’école par semaine !

Je laisse donc la parole à Adriane qui nous explique les bienfaits du jeu risqué, nous permettant de voir l’urbanisation sous un autre angle. Elle nous offre même quelques conseils pour oser proposer des espaces de liberté à nos enfants.

Bonjour Les Enfants Dehors et bienvenue sur Mon autre reflet. Pourrais-tu te présenter, toi Adriane qui réponds aux questions et ton projet ?

Bonjour et merci de votre invitation.
Je m’appelle Adriane van der Wilk, je suis la cofondatrice de Les Enfants Dehors (notre site internet), une entreprise à impact qui crée des lieux urbains de convivialité dédiés aux familles. Nos lieux se déploient autour d’un café-cantine local et végétal ouvert sept jours sur sept, à hauteur d’enfant, avec des aires de jeu naturelles et des jardins sensoriels dédiés aux enfants qui sont animés par notre association Aux Enfants La Ville. Notre premier lieu ouvrira cette fin d’année à Montpellier et d’autres lieux sont en préparation dans d’autres villes.

Interview sur le jeu risqué avec Les enfants dehors

The risky play est un concept sur lequel je n’avais lu qu’en anglais. Pourriez-vous nous expliquer qu’est-ce que le jeu risqué ? Quels sont ses bienfaits ?

Le jeu risqué dans la nature permet aux enfants de sortir de leur « comfort zone », des habitudes de jeu qu’ils ont et de tenter par exemple de grimper aux arbres, de sauter au-dessus d’un ruisseau, de marcher en équilibre au-dessus d’une grande flaque de boue, etc.

Les enfants ont besoin de pouvoir prendre des risques dans leur vie pour grandir et se développer, car sans prise de risque, sans opportunité de se tester soi et ses propres limites dans le réel, dans le sensoriel et la sensation, les enfants développent anxiété, perte d’estime d’eux-mêmes et difficultés sociales.

Prendre des risques dans un environnement sécurisé autrement – on ne parle pas de se pencher au bord d’une falaise mais plutôt de marcher en équilibre sur un petit tronc au-dessus d’un ruisseau par exemple – augmente les capacités des enfants, leur curiosité, leur créativité et leur persévérance, leur résilience et leurs compétences de résolution de problèmes, individuellement et collectivement.

Qu'est-ce que le jeu risqué ou le risky play : être dehors ?
Crédit photo : les enfants dehors

Cette notion a un lien fort avec la nature. Mais faut-il vraiment se rendre en forêt ou dans un espace en dehors de la ville pour y avoir accès ?

Nous accompagnons aujourd’hui plusieurs acteurs à co-constuire la ville à hauteur d’enfant.
La ville à hauteur d’enfant, c’est une ville plus jouable, plus ludique, plus relationnelle aussi (selon les propos de l’anthropologue urbaine Sonia Lavadhino), sur laquelle on peut s’appuyer pour tester de nouvelles façons d’être collectivement. C’est l’espace public qui s’ouvre aux citoyens. Mais le jeu risqué dans l’espace public, c’est aujourd’hui bien souvent seulement le sport, les sports de glisse urbains par exemple, comme le skate ou la trottinette. Ouvrir l’espace public aux citoyens en général et aux enfants en particulier c’est voir émerger des appropriations ludiques surprenantes et des solutions à des problématiques que l’on considérait privées jusqu’à récemment, comme le soin des enfants, l’allaitement ou l’entraide intergénérationnelle.
Si l’on parle d’aires de jeu uniquement, de plus en plus de fabricants commencent à prendre en compte la notion de jeu risqué et à casser les codes afin d’ouvrir un peu plus l’expérience de jeu des enfants dans les espaces dédiés.

À l’heure des aires de jeux de plus en plus sécurisées, vous allez ouvrir un bout de nature accessible aux citadins et en autonomie. Pourquoi un tel choix ?

Nous nous inscrivons dans un mouvement vaste et transversal qui touche aussi bien les enjeux éducatifs que ceux relevant du développement urbain. De nombreuses initiatives telles que les aires éducatives portées par l’Office Français pour la biodiversité ou encore les terrains d’aventure répondent aux préoccupations des habitants des villes qui ont un déficit de nature.
La solution Les Enfants Dehors est née d’un constat simple : jouer librement en nature au pied de chez soi n’est quasiment pas possible quand on habite en ville. Boire un café tranquillement en terminant ses mails ou en lisant un livre pendant que les enfants jouent dehors est une expérience quasi inexistante dans la vie des urbains. Et pourtant les besoins sont urgents et parfois douloureux.
Il s’agissait alors de trouver de grands espaces pour « réclamer » la ville et la « rendre » aux enfants.
C’est la croisade dans laquelle nous nous sommes engagés.

De plus en plus de chercheurs et pédagogues s’expriment sur le rôle des parents face à la liberté de jouer. On questionne la peur de l’adulte qui empêcherait le jeu risqué. Un bon exemple est le parent hélicoptère, terme théorisé en 1990. Il est pourtant naturel de vouloir protéger son enfant, alors comment peut-on faire la part des choses ?

Il faut se souvenir de l’expérience de l’enfance que nous avons eue.
Nous, parents d’environ 30 à 40 ans, nous avons pu circuler seuls, jouer dehors sans surveillance, disparaitre loin du regard de nos parents. Parfois nous avons été en danger, souvent nous avons su prendre soin de nous-mêmes. La collaboration entre enfants est un outil fantastique pour l’autonomie.
Si vous avez des freins à laisser votre/vos enfants circuler ou jouer seul, procédez par paliers. Laissez-les aller en autonomie au bout de la rue, puis un peu plus loin. Construisez avec vos enfants la réponse au risque : qu’est-ce que je fais si il y a une voiture, si il y a quelqu’un qui me fait peur, si je suis perdu.e, si je me blesse, etc.
Encouragez la circulation en groupes d’enfants, le jeu libre non supervisé dans un grand parc sécurisé. Repoussez doucement vos limites et les leurs en étant bienveillant avec vos propres peurs. Elles sont légitimes et utiles mais ne doivent pas entraver la liberté de vivre des enfants au risque d’en faire des adultes effrayés par la vie !

Merci beaucoup Adriane d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Pour ceux qui veulent aller plus loin, je vous invite fortement à lire l’essai de Peter Gray Libre pour apprendre. La lecture est très agréable et j’avais même enregistré un podcast il y a quelques années (avec mon avis et quelques extraits). Pour ceux qui aimeraient avoir une meilleure vision du temps qu’ils passent dehors, je vous conseille les trackers d’activité du projet 1000 hours outside. Le site est en anglais, mais il suffit de cliquer sur une image pour la télécharger puis l’imprimer.

*source : La pratique de jeux en plein air chez les enfants de 3 à 10 ans dans l’Etude Nationale Nutrition Santé (ENNS, 2006-2007) par Benoît Salanave, Charlotte Verdot, Valérie Deschamps, Michel Vernay, Serge Hercberg, Katia Castetbon

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