Le témoignage d’aujourd’hui a un goût de déjà-vu. Nombreuses sont les personnes qui découvrent l’instruction en famille quand la scolarisation se passe mal. Mais est-ce suffisant pour passer à l’action ? Le point de bascule est propre à chaque famille, tout en ayant une portée plus générale. Chaque parent nous aide à nous sentir moins seul, à être compris dans une décision marginale.
Le témoignage de Mathilde se concentre ici sur la scolarisation et donc la déscolarisation car je l’ai séparé en deux parties. Rendez-vous la semaine prochaine pour lire la suite qui sera sur l’instruction en famille en elle-même.
Les images ont été envoyées par Mathilde et ne sont pas libre de droit.
Bonjour Mathilde et bienvenue sur Mon autre reflet. Peux-tu te présenter, toi et ta famille ?
Je m’appelle donc Mathilde, je suis l’épouse de Pierre, depuis bientôt 5 ans, mais nous comptabilisons 15 ans de concubinage ! Nous sommes médecins de famille et nous nous sommes d’ailleurs rencontrés sur les bancs de la Fac, en 2e année. Très rapidement nous avons évoqué notre avenir et il nous était indispensable d’avoir des enfants, 2, sûr, 3 pourquoi pas ?! C’est donc en 2015 que nous avons accueillis L. notre première fille, puis R. notre fils en 2017, et enfin G. notre deuxième fille en 2021. À la naissance des 2 premiers, pour contextualiser, nous étions encore étudiants, internes, donc rythme garde/cours/concours et nouvelle vie de parents. Nous sommes issus de l’école publique tous les deux et, sans aucun médecin dans nos familles, ce fut donc tout naturellement que nous avons pensé à l’école pour notre fille.
Après passage chez une nounou, l’heure est arrivée que L. aille à l’école. Et finalement ce ne fut pas si simple de se décider. Nous nous sommes tournés vers une école hors contrat tournée Montessori, mais cela n’a pas fonctionné pour diverses raisons. L. a donc été redirigée vers une école privée catholique à 20 min de chez nous en voiture. En somme, nous ne pouvons pas dire que cela se soit mal passé, je rentrerai dans les détails avec la prochaine question.
Je vais revenir sur une question qui pourrait se poser, pourquoi ne pas avoir fait le choix de l’école publique du village ? Tout simplement parce que nous habitons dans le même village, que celui où nous travaillons, il nous est donc impossible d’avoir une vie privée respectée et nous ne souhaitions pas que les enfants en souffrent.
Nous sommes donc une famille de 5 humains, car nous cohabitons avec 5 chats, 2 chiens, 9 poules, 1 lapin, et il ne serait tarder que d’agrandir l’équipe avec des canards et des oies. Nous habitons près d’une forêt, ce qui nous permet de nous y promener souvent, de faire des balades à vélo… Nous passons beaucoup de temps à l’extérieur, car nous avons un projet d’autonomie alimentaire en légumes, donc avons beaucoup de travail dans le potager.
Pour quelles raisons avez-vous fait le choix de l’instruction dans la famille (IEF) ?
Le choix de faire l’IEF ne se fit pas en un jour ! Il y a eu plusieurs évènements dans notre vie qui nous ont amenés à cette décision.
Tout d’abord je vais revenir quand L. est donc scolarisée dans cette école privée. L. a des capacités que nous pressentons assez aisées, et commence à s’ennuyer, donc à l’époque nous tentons comme on peut de la « nourrir ». En parallèle, elle souffre de son premier harcèlement, alors qu’elle n’est qu’en MS, où le topo est le même à chaque récréation, elle se fait maintenir par un des camarades, pendant que le deuxième lui donne des coups divers… Nous faisons remonter l’information, mais rien ne se passe, jusqu’au jour où mon mari se déplace pour en parler à l’enseignante et que celle-ci lui répond « c’est normal que les garçons embêtent les filles à cet âge-là ». Évidemment nous n’en sommes pas restés là et après échange avec la directrice, l’affaire s’est réglée.
Elle souffre à nouveau de l’emprise d’une « copine » du CP au CE2. Malgré mes demandes qu’elles ne soient pas ensemble, elles finissent à chaque fois dans la même classe, alors qu’il y a, à peu près 3 ou 4 classes par niveau. On a dû prendre rendez-vous avec une psychologue, tellement nous ne reconnaissions plus notre fille, qui vivait qu’à travers elle, donc s’habillait, se coiffait, parlait selon sa copine pour ne pas se faire insulter ou être exclue du groupe d’amis…
D’autres dysfonctionnements ont eu lieu, comme lorsqu’elle était en CP. Elle lisait déjà très bien et on nous a demandé de freiner… (on avait travaillé la lecture ensemble pendant le confinement). Nous avions donc notre fille, qui était en avance, en souffrance, qui commençait à développer des signes de phobie scolaire, à avoir mal au ventre chaque matin, ne voulait plus y aller, et s’ennuyait énormément. Nous avons donc pris la décision, sans en parler à l’école, de lui faire consulter une neuropsychologue et, sans appel, le diagnostic d’HPI (haut potentiel intellectuel) tombe, avec une mise en garde sur le risque de TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Elle a aussi constaté qu’il était difficile parfois qu’elle reste concentrée et que nous devions absolument être derrière elle, la pousser à aller jusqu’au bout des activités… le tout agrémenté d’un manque de confiance en elle et d’une dévalorisation.
L’année qui a suivi, elle a eu une institutrice, qui était d’une injustice hors pair ! Elle était très stricte, ils avaient tous un système de points, de tableau d’honneur, et tout fonctionnait à la baguette. Sauf qu’à côté elle faisait énormément de fautes d’orthographes, je passais mes soirées à corriger les cahiers de ma fille… Un jour de décembre, elle a avoué à demi-mots que le père Noël n’existait pas, en leur disant par exemple que c’était une fête commerciale… Cette année fut la pire, j’aurais des tas d’exemples de méfaits. La directrice n’a pas pu faire grand-chose, hormis nous promettre qu’elle n’aurait pas nos autres enfants à l’avenir…
La question de la déscolarisation nous est alors venue à l’esprit, mais sans trop s’y arrêter. Ce n’était pas quelque chose d’ancré dans nos mœurs, personne autour de nous ne faisait l’IEF. J’ai commencé, de mon côté, à faire des recherches, à suivre des comptes Instagram de familles le faisant, à regarder des blogs, et puis à discuter avec certaines familles. Mon mari, à ce moment-là, n’était pas dans cette optique, je pense même qu’il a pensé que ce n’était qu’une idée qui n’aboutirait pas. C’était irréaliste, comment aurait-ce été possible d’inclure l’IEF dans notre vie ?
Mais toutes nos conversations tournaient en boucle autour de ce sujet et aussi sur notre envie d’une autre vie. De notre côté, le diplôme était obtenu, notre deuxième enfant était là et lui évoluait bien. Nos vies étaient rythmées à la seconde près, aucun imprévu possible, et quand lui fit sa maternelle elle se passa sans encombre. Il était décrit comme un enfant très tactile, qui avait besoin de câlins, de réassurance, qui disait “je t’aime” à qui veut l’entendre, qui avait un besoin constant d’un adulte près de lui pour tout, il était très dépendant. Puis la petite dernière est arrivée en 2021. Avec le train-train de la vie quotidienne, on laisse un peu de côté cette histoire d’IEF.
De ce fait, ma grande rentre alors en CE2, mon fils en CP et ma dernière est chez la nounou : un nouveau cycle, une nouvelle année. Et dès les deux premiers mois, on a su. On a su que ce n’était plus notre credo, plus compatible avec notre vie, nos envies, que ça ne rimait plus avec les valeurs que nous voulions transmettre.
Pour ma grande, ce fut sa meilleure année et, effectivement, son institutrice était exceptionnelle, ce genre d’enseignante passionnante et passionnée. Nous n’avons jamais informé l’école du diagnostic pour notre fille, mais c’était évident qu’elle avait compris son mécanisme, car notre fille était épanouie. La seule ombre au tableau était toujours cette fameuse “amie” dont les répercussions étaient compliquées à gérer à domicile. Mon fils, lui, ce fut sa pire année. L’entrée au CP signait le fait d’être assis à table, sage, sans bouger, en étant attentif, et c’était très compliqué pour lui. Nous avons été convoqués pour nous faire part de son comportement, mais ils n’avaient rien à nous dire sur son travail qui était quant à lui bien fait. Profil identique à sa sœur, il s’ennuyait… donc s’occupait… Pas de feeling avec sa maîtresse, des pleurs le soir, une dégradation fulgurante des notes, une belle écriture qui devient bâclée, l’apparition d’un bégaiement… (qui disparaitra dès la fin de l’école !).
De mon côté je souffre de ma situation au travail, je sacrifie tout, je rentre tard, je ne couche même pas mes enfants, et le week-end je suis sur les rotules. Or ma vie de maman, je l’avais imaginé, entourée de mes enfants, faire des centaines de choses avec eux, les border le soir, lire des histoires, faire des gâteaux, mais là je me contentais d’acheter tout ce qu’il faut pour faire des choses avec eux, puis ne rien faire …. Par manque de temps et d’énergie.
J’ai eu envie de raconter ces quelques exemples, qui ont fait tilt, car je n’ai pas tout à reprocher à l’école, mais certaines de mes valeurs n’étaient pas respectées, mes choix non plus, mes enfants étaient en souffrance, une par du harcèlement, l’autre par manque de maturité, le tout avec des profils HPI et hypersensibles, et moi, je ne me retrouvais pas dans mon projet de vie. Nous sommes alors en décembre 2023 quand la décision fut prise qu’il y aurait un changement radical dans notre vie dès la rentrée ! On se jetait dans l’inconnu, mais avec une bouée de sauvetage, si ça se passait mal, rien ne nous empêcherait de faire marche arrière, même en plein milieu d’année. Que ce soit pour les enfants comme pour nous. Avec mon mari on se fit la promesse de parler librement de nos états d’âme, de nos émotions, afin d’assurer un avenir serein. J’ai donc commencé la paperasse, les projets éducatifs des enfants, j’ai fait une pause de 8 mois dans mon activité, j’ai repris la garde de ma dernière, et pris la décision de garder une activité médicale restreinte, pour me, nous choisir ! J’ai bien tenté durant cette dernière année scolaire, de faire du coschooling, mais c’était utopique ! Ils étaient bien trop fatigués de leur journée.
Vous avez choisi de faire une demande d’autorisation pour l’IEF auprès de votre département. Est-ce que la lourdeur de la procédure vous a fait douter de votre choix ? Aviez-vous prévu une solution alternative en cas de refus ?
Comme il s’agissait de notre première demande, et que nous n’avions pas connu le régime déclaratif auparavant, la lourdeur de la procédure n’a pas été un frein et ne nous a pas fait douter, mais elle nous a angoissé.
Nous étions surtout en plein questionnement, sur la réalisation du projet, car nous avions trois demandes pour motif 4 (situation propre à l’enfant), donc nous avions bien compris qu’il y aurait une part arbitraire à l’obtention de notre autorisation et ça c’était vraiment angoissant et source de stress. Mais nous étions déterminés à aller jusqu’au bout. Je m’en serais voulu de ne pas essayer, de ne pas le faire, car c’était notre objectif.
Il y a un côté très injuste car quand on se renseigne, on se rend compte que certaines familles qui pratiquaient l’IEF, étaient refusées malgré des contrôles positifs, donc on se demandait parfois, à quoi bon ? Un peu pessimiste mais déterminés ! J’ai donc passé plusieurs mois à finaliser le dossier de mes enfants, j’ai envoyé les documents le premier jour d’ouverture, et a ensuite démarré une longue attente insupportable. Nous avons obtenu deux autorisations et un refus pour la dernière. J’ai donc fait un RAPO, sans aide d’un avocat, mais avec une amie juriste. Nous avons eu gain de cause, cependant la question s’est posée de ce que nous ferions, dans le cas échéant où la réponse serait un refus. Il était hors de question de payer un avocat, pour aller au Tribunal administratif, car nous ne voulions pas d’une procédure qui pourrait durer un an, sans garantie d’obtention d’un référé suspension, et donc avec l’obligation d’une remise à l’école pendant l’attente. Nous étions d’accord pour entrer en désobéissance civile. Aujourd’hui, nous n’imaginons plus notre vie autrement que maintenant donc s’il le fallait, nous déménagerions, ou ferions notre tour du monde, ou opterions pour la Désobéissance civile, mais pas de retour à l’école !