Témoignage : maman d’un enfant dysgraphique

témoignage sur la dysgraphieMichèle est la maman de trois enfants, dont Hector 11 ans 1/2, non-scolarisé depuis la rentrée 2018. À travers cet interview, Michèle nous permet de faire connaissance avec son fils, son parcours et surtout elle nous invite à comprendre la réalité du quotidien d’un enfant dysgraphique.
Car Hector est un amateur de compétitions de Rubik’s cube, de sciences, de cuisine et de jeux vidéo, sans oublier les temps avec les copains bien sûr. Il a commencé une scolarité classique comme un grand nombre d’enfants. Il a été testé précoce assez jeune. Pendant tout ce temps, la dysgraphie était présente, mais non remarquée…

Petit point sur le vocabulaire
Pour parler de précocité, sont utilisés dans cette interview les termes EIP (Enfant Intellectuellement Précoce) et HP (Haut potentiel).
Ici le terme Dys désigne strictement la dysgraphie. Toutefois il existe d’autres « dys » (dyslexie, dyspraxie, etc).

Hector a commencé son instruction par plusieurs années à l’école. Comment cela se passait-il ?
Hector est allé à l’école classique jusqu’en début de CM2 puis quelques mois en école Montessori.
Ça a toujours été compliqué. En petite section, il refusait déjà d’aller en classe sous prétexte, que c’étaient tous des bébés. Pourtant il était le plus jeune d’une classe de petits/moyens ! Il a su lire assez rapidement à la maison (vers 5 ans).
Très vite les enseignants lui ont reproché son manque de soin et une écriture raturée.
Lors d’une visite en CE1 chez la psychomotricienne, quelques signes de dyspraxie était présent mais rien d’inquiétant, le crayon était bien tenu et l’écriture lisible… Hector parlait très bien, il amusait la psychomotricienne, elle a su l’écouter sans trop médicaliser mais n’a peut-être pas vu à quel prix l’écriture était lisible !
Élève respectueux et voulant bien faire, il réussissait avec des efforts à écrire donc de façon lisible. Ce qui faisait dire à tout le monde : « quand il veut, il peut » !!!! Le soin restait toujours à améliorer.
Excellent élève, curieux, respectueux, il n’a pas été mis à mal par les enseignants jusqu’en CM1. Cette année-là, l’enseignante était très exigeante sur la forme, le soin en général et mettait des points rouges ou verts. Hector l’a vécu comme une injustice. Il vivait une très grande frustration à être évalué sur la forme plus que sur le fond… Il faut dire qu’il avait de plus en plus de choses à écrire et qu’il devait y mettre une énergie considérable, non reconnue, pour un résultat décevant. De plus les sujets abordés en classe lui semblaient sans aucun intérêt. Il répétait souvent : « tu te rends compte du temps perdu ? ». Beaucoup d’enfants s’ennuient à l’école mais je pense que ce qui rend cela insupportable pour beaucoup d’enfants à HP, c’est qu’ils ont conscience qu’autre chose peut exister, qu’ils ont une vie à vivre et qu’ils lui cherchent un sens. Bon là je m’éloigne sans doute !!!!
Lors d’un entretien avec l’enseignante, il lui fit remarquer que s’il pouvait bien écrire, il ne s’en priverait pas !!! Et lui a aussi demandé à être respecté non pas parce qu’il aurait bien écrit ou savait beaucoup de choses, mais juste parce qu’il était un être humain… Nous nous sommes vraiment rendu compte de la souffrance qui était la sienne à ce moment-là.
Pourtant nous, adultes, nous relativisions au regard de ses bons résultats et des copains qu’il avait autour de lui. Même si depuis le CE1, à chaque retour de l’école, à la question « comment s’est passée ta journée ? », nous avions la même réponse : « c’était la pire journée de ma vie. »

Il n’a jamais pris de plaisir à dessiner, colorier, peindre, faire des puzzles… En sport, il a essayé le foot, la gym, le rugby, la natation, le judo… il a tout abandonné ; il fait aujourd’hui seulement de la plongée (autre rapport au corps en milieu aquatique). Il a su faire du vélo très tard (9 ans) et n’est toujours pas très à l’aise.

exemple dysgraphie

À quel moment avez-vous réalisé les tests de précocité ? Pour quelles raisons ?
En moyenne section, il refusait d’aller à l’école (pourtant une nouvelle !), devenait agressif, avait des soucis avec quelques enfants… et expliquait à la maîtresse ce qu’était une troisième dimension, en donnant des exemples. Il n’avait pas 4 ans !
L’enseignante nous a demandé s’il y avait des EIP dans la fratrie. Oui, il y avait Hélène déjà diagnostiquée, nous lui avons donc fait passer les tests. Ils ont été refaits en CM1 et ils montrent un profil hétérogène avec une compréhension verbale quasiment au maximum et le reste dans la norme supérieure.

Après quelques années « classiques » vous avez fait le choix de l’instruction en famille. Qu’est-ce qui vous a conduit à prendre cette décision ?
La première semaine de CM2, une entorse légère a immobilisé complètement Hector qui s’est retrouvé en fauteuil roulant et donc dans l’incapacité à rejoindre sa classe au bout de quelques semaines. L’enseignante avait repéré le profil et nous a alertés en nous disant que d’après elle, c’était le corps d’Hector qui parlait et qu’il ne pouvait plus aller à l’école !
Il a rejoint une classe primaire Montessori mais il s’y est ennuyé rapidement étant le plus grand et même s’il y avait beaucoup de bienveillance et de propositions de la part de l’enseignante, il fallait toujours écrire. Même si beaucoup moins, il fuyait, trouvait des excuses… L’enseignante ne savait plus très bien comment le nourrir intellectuellement à l’intérieur du groupe. À la rentrée de 2018, il devait rentrer au collège ce qu’il n’arrivait pas à envisager et nous de moins en moins. Il nous a demandé de rejoindre une école démocratique, ce qui n’était pas possible car trop loin. C’est ainsi que peu à peu l’IEF est devenue une évidence.

La précocité est souvent associée à une dysgraphie, c’est à dire à des troubles de l’écriture*. Et justement Hector est un enfant dysgraphique. Peux-tu nous expliquer plus concrètement ce qu’est la dysgraphie et comment elle se manifeste dans le quotidien d’Hector ?
La dysgraphie est une difficulté à automatiser le geste d’écriture. La tenue du crayon peut être bonne, l’écriture correcte, mais une lenteur existe toujours parce que les enfants n’écrivent pas les lettres, ils les dessinent. C’est-à-dire qu’ils pensent à comment former les lettres et donc perdent bien sûr en efficacité mais aussi en attention auditive. Quand le rythme d’écriture s’accélère, même avec beaucoup de volonté, ils ne réussissent pas à tout noter. Il manque des phrases, des parties de cours… On va leur dire qu’ils sont paresseux, qu’ils bâclent l’écrit, qu’ils préfèrent discuter, que quand ils étaient en primaire ils faisaient plus d’effort… Souvent les enfants avec un HP compensent d’une manière ou d’une autre et leur Dys ne se voit pas forcément rapidement. D’un autre côté, comme ils ne sont pas non plus très scolaires, leur HP peut passer inaperçu. Bref, des dys cachent la précocité et la précocité cachent les Dys.
Pour Hector ça a été le cas donc jusqu’en CM1. Au moment des devoirs, il ne voulait pas que je regarde parce qu’il ne voulait pas que je le fasse recommencer ou que je voie tout simplement son écriture. En classe, il prenait beaucoup sur lui mais pour les devoirs, il fallait que ça aille vite, il n’en pouvait plus ! Toutes remarques sur son écriture lui mettaient les larmes aux yeux.
Concrètement il dit avoir mal à la main quand il écrit, il ne forme pas toujours les lettres de la même façon, il oublie comment se font les majuscules, il rature énormément. Manuellement, il écrit avec beaucoup de fautes d’orthographe alors qu’au clavier, très peu. De même, il est incapable d’écrire un texte cohérent à la main alors qu’il peut écrire des pages entières à l’ordinateur. Les idées ne peuvent pas venir car toute son attention est sur le graphisme des lettres qui n’est pas automatisé.
De manière générale, Hector privilégie beaucoup plus le savoir que le savoir-faire…

Comment aidez-vous Hector à faire face à sa dysgraphie ? Et comment faites-vous pour que dans le même temps il poursuive les apprentissages plus scolaires dans de bonnes conditions ?
En IEF, j’ai pris la pleine mesure de sa difficulté qui jusque-là avait été minimisée. Hector a donc passé un bilan chez l’ergothérapeute en septembre 2018. Il a été diagnostiqué dysgraphique sans dyspraxie (même s’il n’est pas toujours très à l’aise dans son corps, dans ses mouvements et qu’il se trouve lui-même maladroit…).
dysgraphique et fan de rubik's cubeCe qui est étonnant c’est qu’il pratique le speedcubing (résolution des rubik’s cubes) à un très bon niveau et que cela demande une certaine dextérité… L’ergothérapeute nous a expliqué que cette dextérité allait l’aider à taper plus rapidement au clavier mais qu’elle n’avait pas de rapport avec le geste graphique et la motricité fine. On nous a conseillé de lui proposer des activités en cuisine, du bricolage… La cuisine c’est OK mais pas du tout le bricolage. À cet âge, les écrans sont plus accrocheurs !
Je parlerais de ré-éducation du geste d’écriture pour le quotidien mais il n’a pas eu de suivi pour l’instant. Il aura des séances à la rentrée 2019 car je me rends compte que l’écriture se dégrade et même s’il se sert de l’ordi, pouvoir écrire une phrase ou un petit texte est indispensable dans la vie quotidienne.
Au niveau scolaire, je parlerais de compensation car il faut trouver les moyens de faire autrement qu’avec l’écriture manuscrite. À la maison, c’est facile, beaucoup d’oral et l’écrit à l’ordi.
Il écrit à la main seulement pour les maths. Pour la géométrie, il y a le logiciel géogébra. Et même s’il n’aime pas la géométrie, finalement, ce n’est pas tant que ça de l’écriture mais le côté spatialisation et le soin nécessaire le pénalisent.
Sinon, il existe des logiciels de reconnaissance vocale comme DRAGON NATURALLY SPEAKING, mais nous n’avons pas encore essayé. Il existe aussi des logiciels qui installent les outils mathématiques, scientifiques (fioles, béchers…) sur l’ordinateur.

Est-ce qu’une dysgraphie reconnue permet de bénéficier d’aménagement pour les examens du brevet et du bac ? Est-ce quelque chose que vous envisagez ? Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?
Oui, des aménagements sont possibles aux examens mais c’est toujours compliqué de les obtenir en IEF car ils sont acceptés s’ils ont été mis en application en classe au préalable !!! On m’a conseillé de m’y prendre un an avant l’année de l’examen parce qu’il y aurait sans doute un recours nécessaire…
Pour les années à venir, j’aimerais qu’il puisse s’approprier les outils numériques (organisation de la prise de cours) pour éventuellement retourner en classe un jour s’il le désire. Je sais que ce sera fastidieux car pour l’instant il n’y voit aucun intérêt ! C’est aussi un des objectifs de la ré- éducation chez l’ergothérapeute.

Merci Michèle de ton temps et surtout de tes explications claires et concrètes.
Découvrez le témoignage d’autres mamans tel que le thème de l’hémiplégie ou de la pratique à haut niveau de la musique.

* En savoir plus : http://www.afep-asso.fr/documents/actes/0503.pdf

Toutes les photos ont été fournies pas Michèle avec l’accord d’Hector.

6 réponses sur “Témoignage : maman d’un enfant dysgraphique”

  1. Merci de ce témoignage 🙂
    Un petit article pour aller plus loin : https://www.lemondedemeietnoe.com/post/dysgraphie-ou-dysgraphie
    Concernant les aménagements : si ceux-ci sont indispensables, n’hésitez pas à évoquer les contrôles précédents où il a été noté que l’écriture était compliquée + bilan spécialiste(s). Un courrier supplémentaire de la personne en charge du contrôle peut aussi être un plus, normalement ça passe 🙂

    1. Merci Isa Lise. Comme je trouve dommage que les informations précises que tu m’as envoyées par message privé en réponse à cet article, ne soit pas disponible aux autres lecteurs de cet article, je me permets de les copier ci-dessous.
      « il y a longtemps eu une interrogation « pourquoi tant de zèbres seraient dysgraphiques »
      et au final de plus en plus de spécialistes ont conclu au fait qu’il ne s’agissait pas de dysgraphie avérée mais de dysgraphie décalage. En clair : le cerveau de l’enfant va très vite, l’enfant a donc de « l’avance » sauf que son corps lui ne suit pas
      souvent l’apprentissage de l’écriture a en plus été « mal abordé ».
      L’enfant souffre : les symptômes de la dysgraphie sont là…
      Mais avec une bonne rééducation et du temps cet enfant là ne souffrira plus de ce qui semblait une dysgraphie et qui n’en est pas vraiment une.
      Le hic, et pour le coup en tant que maman de fille vraiment dysgraphique, c’est qu’en raison d’un même nom pour une difficulté très différente, nous devons tous les 2 ans refaire un bilan très cher pour prouver que la dysgraphie est encore là…
      ce serait plus simple s’il y avait possibilité d’un ordi pour les précoces qui fatiguent… »

  2. Merci pour le partage de cet interview. Je n’y connaissais rien et ça m’a un peu éclairé. Bonne continuation au jeune homme et la maman.
    Mesdames vos articles sont riches d’enseignement et de renseignements merci !

  3. Merci beaucoup pour cet article. Je viens de réaliser que mon fils souffre peut-être de dysgraphie. Jusqu’ici, je considérai son abominable écriture comme un manque de soin et un signe de paresse… mais en fait, dans tous les autres aspects de sa vie, il est très soigneux et courageux. Et s’il avait une vraie difficulté, que je n’ai pas mesuré ? Merci pour la réflexion ! Cordialement.

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