Témoignage : instruire en famille, un projet de vie

C’est un peu étrange comme exercice, témoigner moi-même dans notre rubrique portrait. J’ai un peu l’impression que vous me connaissez déjà, puisque je tiens le blog. Sauf qu’en fait, il y a de nombreuses choses que je n’ai jamais raconté car les articles ne sont jamais sur moi mais sur des points de pédagogies ou des ressources.
Toutefois puisque je mets un point d’honneur à faire des témoignages reposant sur des questions personnalisées, il me fallait des questions pour moi-même. C’est pourquoi j’ai lancé un appel sur les réseaux sociaux et je réponds à présent ci-dessous aux questions que vous m’avez envoyées.

Voici donc mon propre parcours sur mon choix de l’instruction en famille et notre quotidien. (Si à votre tour vous souhaitez témoigner, n’hésitez pas à me contacter).

Qui es-tu ?
Je suis donc Tiphanya, en charge du blog sur Mon autre reflet, mais aussi rédactrice web, blogueuse sur Avenue Reine Mathilde, prof de français langue étrangère et d’anglais. Je suis accessoirement également un bec sucré, une accro aux cafés, une passionnée des langues étrangères et une voyageuse (dans l’âme plus que physiquement actuellement).
Je vis en Alsace avec mon amoureux (archéologue) et notre fille qui vient de fêter ses 9 ans.
J’ai eu une scolarité extrêmement classique. Mon amoureux également, bien qu’il ait fait une année en instruction en famille lors d’un voyage d’un an autour de la Méditerranée. Notre fille n’a jamais été scolarisée.

équipe Mon autre reflet
Tiphanya, totalement à droite, en balade avec sa fille ainsi qu’avec Yza, à l’origine de Mon autre reflet

Qu’est-ce qui t’a fait choisir l’instruction en famille (IEF) ?
J’ai découvert l’existence de l’instruction en famille au collège. C’est à cette époque que j’ai vraiment commencé à rêver de voyages. Je lisais tout ce que je pouvais sur le sujet et c’est ainsi que j’ai appris que certaines familles partaient pour un an ou plus à travers le monde.
C’est ce que je voulais pour ma vie adulte : voyager avec ma famille.

La suite a été assez compliquée puisque j’ai tout fait pour entrer dans le moule. Faire des études classiques, travailler 35 h par semaine, passer mes soirées en rencontres professionnelles (à ce moment je travaillais dans le tourisme et la culture, j’ai donc fait d’innombrables vernissages). Cette volonté de normalité s’est fissurée plusieurs fois. Ainsi au retour d’un séjour au Togo, je me suis inscrite à l’université, reprenant mes études à zéro en langues et civilisations africaines. J’avais choisi le yorouba comme spécialité avant de finir en swahili, puis de m’inscrire également en anglais et en français langue étrangère. Mon amoureux lui était étudiant en langue et civilisation japonaise.

Un peu mêlé il y a eu le projet d’enfant et de voyage à l’issu de nos études. À la même époque, j’ai repris des contacts réguliers avec ma sœur de cœur australienne qui était déjà mère et voyageuse avec des enfants en IEF. Nos échanges m’ont amenée à évoquer mon envie d’instruction hors école avec mon amoureux. Il a rapidement partagé mon point de vue (sur l’IEF car sur les voyages, ce n’était pas vraiment gagné).

Y-a-t-il des conseils que tu aurais aimés recevoir quand tu as commencé l’IEF ?
On ne m’avait jamais posé la question et après réflexion, je crois pouvoir répondre en toute sincérité que non. J’ai eu la chance de côtoyer des femmes et des mères extraordinaires avant d’être mère à mon tour.
Je pense à une amie qui m’a fait réfléchir à la communication non-violente, à l’autonomie, au respect, à la précocité, à l’allaitement et à bien plus. Il n’y avait aucun blabla, aucun vocabulaire technique. Il n’y avait que sa façon d’être avec ses enfants et des discussions au-dessus d’une tasse de thé et d’un tricot.
J’ai aussi beaucoup discuté avec ma sœur australienne puis dès ma grossesse avec toute une communauté de parents voyageurs longue durée (j’avais bien en tête le fait de nous lancer dans une vie nomade dès que possible). Si le point de départ était le voyage, nous échangions aussi sur la parentalité et l’instruction. Puisque les membres du groupe étaient de toute nationalité et avec des enfants d’âges très différents, c’était très enrichissant.

Et puis il est vrai que j’ai étudié à la fac les questions de l’enseignement puis enseigné dans des contextes différents. Mes études m’ont permis de lire et découvrir énormément mais surtout de construire ma confiance en moi pour faire le tri et effectuer mes propres choix.

Quels sont les principaux écueils que vous avez pu rencontrer au cours de ces différentes années d’IEF ?
Voici une question difficile.
Je crois que pour moi, le plus délicat est le rythme de ma fille. Si ça ne tenait qu’à moi, dès 9h nous serions toutes les deux habillées et prêtes pour passer la matinée à faire des choses ensemble (que ce soit écrire des cartes postales, faire des défis maths des frères Lyons ou construire un squelette en papier).
En fait ce n’est pas qu’une question de rythme mais de personnalité.
J’aime ce qui est fait avec soin et minutie, j’adore les papiers et écrire. Je suis efficace le matin, j’enregistre mieux les informations écrites qu’écoutées.
Et ma fille est probablement tout l’inverse. Elle n’aime pas écrire, se moque très souvent du look des choses, aimerait étudier le soir à partir de 20h et apprend bien mieux avec une discussion qu’avec n’importe quel livre.
Alors on compose pour que tout se passe au mieux…

kit de chimie enfant
Une autre différence entre Nine et moi : elle adore les sciences. Moi je réussis à rater toutes nos expériences de chimie…

As-tu déjà déjà proposé à ta fille d’aller à l’école ? Ou est-ce que ta fille a déjà demandé à aller à l’école ?
Je ne l’ai jamais proposé en tant que projet concret, par contre nous lui répétons régulièrement que si elle veut y aller c’est possible. Comme nous habitons à côté d’une école, lorsqu’il y a des affiches partout sur les inscriptions pour la prochaine rentrée, on lui signale. Autant dire que cela ne l’intéresse absolument pas.
Pourtant un peu avant ses 4 ans, elle a demandé à aller à l’école. C’était fin août et toutes les personnes que nous croisions parlaient de la rentrée. « Tu vas bientôt retrouver les copains et la maîtresse ? » Sans parler du matraquage publicitaire dans les magasins en faveur de nouveaux cartables et autres accessoires indispensables pour la rentrée. Même la presse jeunesse ne parle que de ça de mi-août à fin septembre.
Nous en avions discuté avec elle pour savoir ce qui provoquait cette demande. Et en fait, elle était triste car elle n’avait pas le droit aux « courses » de rentrée comme les autres enfants. Elle avait aussi envie de revoir ses copains (en été, on voit toujours très peu de monde). Rien de plus ! Du coup, nous avons acheté une trousse et un cahier qu’elle a choisi. Et nous avons organisé le premier pique-nique de non-rentrée de notre ville. À partir de là, elle n’a plus du tout envisagé d’aller à l’école.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans l’IEF ?
L’IEF est un projet de vie, un projet familial. Cela fait partie intégrante de qui nous sommes. Il n’y a pas un truc que j’aime en particulier. Comme tout dans la vie, il y a des hauts et des bas, des détails que l’on aimerait changer, des moments que l’on voudrait simplifier.
Suite aux déclarations du Président Macron sur sa volonté d’interdire l’IEF, les changements que cela pourraient provoquer pour nous ont été au cœur de plusieurs discussions avec mon amoureux. Et l’élément le plus cauchemardesque pour nous est le rythme de l’école. Devoir régler notre sommeil, nos repas, nos loisirs strictement en fonction de l’école nous semblent tellement difficile.
Je suis freelance, ma fille est instruite à la maison. Du coup, ma semaine de travail commence le dimanche et mon jour totalement off est le jeudi. Tout est ouvert, aussi bien les musées que les magasins et il n’y a personne nulle part. C’est génial !

Comment gères-tu l’instruction en famille et ton travail ?
Cela dépend vraiment des périodes. En ce moment, en plein confinement, ce n’est pas le top.
Mais dans un monde plus apaisé, je me lève tôt et je travaille jusqu’à ce que Nine sorte de sa chambre (ça peut être à 10h suivant le livre en cours car elle adore lire au lit). Puis nous passons la fin de matinée ensemble. Comme elle est souvent réveillée depuis longtemps à ce moment-là, on « étudie » pendant qu’elle prend son petit déjeuner éventuellement.
L’après-midi, je travaille après le déjeuner. La durée dépend de plusieurs choses. Si le père de Nine est là, je ne m’arrête que pour le dîner. S’il n’est pas là, je travaille pendant qu’elle va au conservatoire ou au karaté. Je travaille toujours au moins 1 h, dit temps libre, pendant lequel Nine fait ce qu’elle veut. Quand nous ne sommes vraiment que toutes les deux, je dois donc retravailler le soir après le dîner.
Mais depuis un an, nous avons mis au point des fiches de mission, qui lui permettent d’avoir plus d’autonomie. Elle peut donc avancer sur certains projets de son côté. La fiche de mission est un peu notre pense-bête.

Par ailleurs, puisque Nine apprend mieux en discutant, les repas sont des éléments hyper importants dans son instruction. C’est là qu’elle apprend le plus en histoire, géographie, science, linguistique, archéologie, civisme, politique et bien plus encore.

lapbook Calburnia
Extrait d’un lapbook effectué à partir de la lecture du roman Calpurnia

Suite à l’annonce du président, as-tu pensé reprendre une vie nomade ?
Moi j’y pense depuis le jour où nous avons arrêté contre notre gré la vie nomade.
Aujourd’hui les choses ont énormément changé. Car ni mon amoureux ni notre fille ne veulent redevenir nomades. Donc la question du nomadisme ne se pose pas. Par contre nous n’excluons pas du tout une expatriation.
Mais actuellement je suis incapable de faire des plans par rapport à une éventuelle interdiction de l’instruction en famille. J’attends de voir le projet de loi.

2 réponses sur “Témoignage : instruire en famille, un projet de vie”

  1. Merci pour ton témoignage.
    Moi qui n’ai pas suivi « depuis le début » je trouve ça très intéressant 😊🙏

    Finement, le fait que ta fille et toi ayez des rythme différents a ses bons cotés : tu peux travailler en début de matinée pendant qu’elle prend son temps pour démarrer sa journée 😉

    1. Je n’avais jamais pensé à ça ainsi, mais c’est vrai que si nous avions le même rythme, j’aurai beaucoup plus de mal à dégager du temps « professionnel ». Merci pour ce changement de perspective.

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