Quand on pense à l’instruction en famille (IEF), on pense souvent à un choix de vie longue durée. Il est vrai que dans mon propre réseau local, la majorité des familles sont dans cette démarche pour plusieurs années. Pourtant régulièrement le mois de juin s’accompagne d’annonces d’enfants retournant à l’école. Car faire l’IEF, ce n’est pas choisir de grandir sans école pour toute la vie ! Dounia est un excellent exemple de la flexibilité offerte par l’IEF et c’est pourquoi je suis ravie qu’elle ait accepté de répondre à mes questions.
On peut tout à fait opter pour l’IEF pour une seule année et savoir dès le départ que l’on retournera à l’école. C’est une façon comme une autre de grandir et d’apprendre à se connaître.
Les photos ont été fournies par Dounia. Tout droit réservé.
Bonjour Dounia et bienvenue sur Mon autre reflet. Peux-tu commencer par te présenter ?
Bonjour, je m’appelle Dounia, j’ai 18 ans, je viens de terminer mon année de terminale et je m’apprête à rentrer à l’université en Allemagne pour étudier l’histoire et l’anglais.

Lors de ton année de 4e, au collège en France, tu as émis le souhait de ne plus retourner au collège, mais juste pour un an ? D’où venait ta demande ?
Pour comprendre ma demande il faut se replacer dans mon état d’esprit de l’époque, qui était une sorte de « ras-le-bol » du collège. J’avais souffert d’années de sixième et de cinquième médiocres où j’étais très mal intégrée dans ma classe. J’avais (heureusement) fini par changer de collège et mon année de quatrième s’était bien mieux déroulée que les précédentes.
Néanmoins, mi quatrième, j’ai appris par hasard l’existence du CNED en feuilletant un magazine au CDI. Très vite, je me suis mise en tête de suivre ma dernière année du collège en suivant les cours du CNED.
Avec le recul, je me dis que c’était peut-être une manière de me mesurer face à ce que je voyais comme un défi (travailler seule, sans l’aide de personne), mais à l’époque, je voyais surtout le CNED comme une opportunité géniale pour me libérer du temps et avoir ainsi plus de disponibilité pour des loisirs. Quand je me remémore les raisons de ce choix un peu atypique, je me souviens avant tout de mon envie de vivre autre chose que le train-train du collège et prendre plus du temps pour moi. À côté de cela j’en avais aussi plus que marre du temps perdu à cause de bêtises et j’avais la conviction que je serais bien plus efficace en travaillant seule que dans une classe de 35.
Quant au fait de limiter cette expérience « juste pour un an », c’était avant tout car que je trouvais le programme du lycée trop complexe pour pouvoir étudier seule, et c’était aussi une manière de rassurer mes parents. En plus, je suis rentrée en seconde dans un cursus nommé Abibac (bac franco-allemand). Or ce programme n’existe pas au CNED donc je n’aurais pas pu le faire.

Avant de prendre une décision, tes parents et toi-même avaient beaucoup réfléchi. Quelles étaient vos inquiétudes ?
Je pense que leur principale inquiétude (d’ailleurs très largement partagée quand je parlais de mon projet autour de moi) était celle que je perde toute relation sociale. Il y avait aussi celle que je sois trop sur leur dos ou que je perde mes repères. Dans leurs conditions, il y avait celle que je sorte un minimum et qu’ils n’aient pas à m’aider pour faire mes devoirs ou comprendre la leçon (mais pour ça internet était là ! :). De mon côté, je n’avais pas d’inquiétude particulière !
Au final, leurs inquiétudes étaient infondées car ils n’ont jamais eu à faire « le prof » et comme je suis plutôt très organisée et motivée (grâce au CNED aussi), je ne me suis jamais découragée ni même « perdu » de repère. De plus, je gardais beaucoup de contacts avec mes amies collégiennes.
Finalement tu as fait une année à la maison, avec les cours du CNED. Comment cela s’est-il passé concrètement ?
Je travaillais mes cours surtout le matin ou le soir tard. Comme parfois je prenais du retard sur les devoirs à envoyer, je prenais de temps en temps quelques jours pendant les vacances scolaires. Au début je m’étais fait un emploi du temps calqué sur celui du collège mais j’ai très vite préféré consacrer mes journées sur une ou deux matières (tout en alternant chaque jour pour évoluer au même rythme partout). Je faisais tous les soirs du jogging histoire de m’aérer les neurones et j’étais presque tous mes après-midis en vadrouille en ville car je suivais des cours de musique (piano et solfège), d’athlétisme, de théâtre et d’anglais chaque semaine ! Les week-ends, je sortais beaucoup avec mes parents pour randonner, visiter des musées, etc. À la fin de l’année j’ai eu mon brevet en candidate libre 🙂
À la suite de cette année, tu as intégré le lycée, à ta demande encore une fois. Comment s’est déroulé le retour à l’école ?
J’ai vite repris mes repères dans l’univers scolaire. J’ai tout de suite largement préféré le lycée car je m’y sentais plus à mon aise qu’au collège. J’ai dû arrêter le théâtre et l’anglais mais j’ai continué toutes les autres activités en les condensant sur mon mercredi après-midi de libre. J’étais parfois un peu en décalage avec la mentalité de certains camarades mais j’arrivais mieux à prendre mes distances car j’étais plus solide vu que cette année de troisième au CNED m’avait donné confiance en moi.
Il s’est écoulé quelques années depuis cette expérience. Avec le recul, que penses-tu de cette année ? Que t’a-t-elle apportée ?
J’ai fait des progrès énormes en anglais qui n’auraient jamais été possibles en cours de langues classique où je balbutiais à peine quelques mots quand le prof m’interrogeait.
Cela a été possible d’abord en suivant des cours d’anglais à l’Université Populaire et surtout en profitant de l’emploi du temps flexible du CNED pour faire plusieurs échanges. Le temps libre que j’arrivais à libérer m’a permis de partir une semaine à Londres et dix jours près de Manchester, c’était génial ! Je suis aussi partie plusieurs jours en Allemagne.
J’ai surtout appris à me débrouiller seule en cherchant de l’aide sur internet quand je ne m’en sortais pas avec telle ou telle notion en sciences ou en maths, quitte à demander de l’aide quand je n’y arrivais vraiment pas (mais c’était rare et toujours en maths, matière qui a toujours été ma bête noire).
Je réussissais me motiver pour bosser les cours mais comme je suis de nature curieuse, j’arrivais presque toujours à prendre du plaisir en apprenant. Le sérieux et la régularité que j’ai acquis grâce à cette année là m’ont d’ailleurs grandement aidé pour les cours en ligne durant le confinement.
Cette année m’a aussi permis de faire des progrès dans ma pratique musicale car j’ai eu beaucoup de temps pour pratiquer à la maison !
Je suis convaincue que j’ai eu une chance incroyable en pouvant suivre cette année un peu hors cadre et qu’elle a été un véritable enrichissement ! Elle m’a été plus que bénéfique et m’a fait l’effet d’un grand bol d’air frais 🙂
Un mot de la fin par rapport à l’annonce gouvernementale d’interdire l’instruction en famille ?
Je ne comprends pas comment on peut encourager les services civiques qui justement invitent les jeunes à prendre de l’autonomie, à se découvrir eux-même et en même temps vouloir supprimer ou limiter l’IEF.
Y-a t-il meilleur moyen d’apprendre à se connaître qu’en sortant des schémas qu’on tente de nous imposer ?
Merci beaucoup Dounia d’avoir pris le temps de partager avec nous ton expérience !
D’autres interviews de jeunes ayant été totalement ou partiellement instruits en famille sont à découvrir ici : Apolline qui a profité de ces années pour se spécialiser dans l’univers équestre jusqu’à publier un livre et Ghanima qui a elle travaillé la danse jusqu’à intégrer l’école du ballet d’Hambourg.