Il existe de nombreuses motivations derrière l’instruction en famille. Dans certains cas, ce n’est pas un choix, mais plutôt une absence de choix, car la famille ne trouve pas de réponses convenant à l’enfant et ses besoins ou aux idéaux pédagogiques des parents. C’est pourquoi aujourd’hui nous avons pris contact avec Manuèle Lang, porteuse d’un beau projet dans le Haut-Rhin. Elle travaille en effet à la création d’une école démocratique et pour cela elle est la présidente de l’association L’enfance libre.
En attendant l’ouverture de l’école, des ateliers et des conférences sont proposés pour permettre à tout le monde de découvrir une parentalité différente. Toutes les informations sont disponibles sur la page Facebook de L’enfance libre.
Mise à jour 2021 : le projet semble être totalement sur pause, mais l’interview reste intéressante sur la démarche de création d’une école. Par contre, sachez qu’une école démocratique à Belfort ouvre pour la rentrée de septembre 2021 !
Bonjour Manuèle. Vous êtes à la tête d’une association qui souhaite ouvrir une école de type Sudbury. On les appelle aussi les écoles démocratiques. Quels sont les éléments fondamentaux dans l’organisation d’un tel établissement ?
Une école démocratique de type Sudbury est un endroit particulier. En effet elle n’offre aucun enseignement et est ouverte à tous les membres désireux d’en faire partie après avoir fait une immersion et capables d’accepter les règles de fonctionnement.
Elle reçoit les enfants de 6 à 19 ans dans un niveau unique.
Le terme démocratique dans ce cas, signifie que lors des votes -fréquents et pour tous les sujets- chaque étudiant de l’école quel que soit son âge dispose d’une voix comme chaque membre du staff, facilitateur, etc.
La Sudbury Valley School -SVS- a ceci d’unique qu’elle est une matrice. Elle est un endroit où les enfants et les adolescents sont totalement libres de poursuivre leur intérêt comme ils le souhaitent.
L’idée sous-jacente de l’école est que les enfants comme les adultes sont naturellement curieux et travaillent à toutes les périodes de leur vie à accroître leurs compréhensions du monde.
« L’objet de la SVS est de créer une école dont les membres recevront une éducation sur le principe selon lequel les éléments les plus favorables sont : l’auto motivation, l’autorégulation et l’autocritique ». statut de la SVS
L’idée est simple : poussé par la curiosité innée qui est l’essence même de la nature humaine, les enfants feront d’énormes efforts pour explorer et maîtriser le monde qui les entoure.
SVS a un système de justice qui est le moteur du conseil d’école. Il se réunit tous les jours et prend en compte les réclamations écrites de possibles violations des règles. Le comité de justice est constitué d’élèves, deux d’entre eux sont nommés administrateurs pour 3 mois et cinq d’entre eux de tous âges le sont pour un mois ainsi qu’un membre de l’organisation selon un roulement quotidien.
N’importe qui de l’école peut déposer une réclamation sur n’importe quoi qui lui semble non conforme aux règles. Le conseil et lui seul fait autorité. Toutes les questions y sont traitées. C’est lui qui négocie les contrats pour le personnel et décide des dépenses exceptionnelles.
Chaque élève quel que soit son âge a le droit de vote au conseil comme tout membre du personnel.
L’ordre du jour est publié à l’avance.
Comment est né ce projet ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer ?
Pendant ma grossesse, et devant la réalité de l’enfant à venir, la perspective de l’éducation qui se profilait, a tout de suite imposé la nécessité pour moi d’une nouvelle manière de penser cette étape.
Je me suis intéressée à ce qui existait d’établissements avec des philosophies différentes dans le monde entier.
J’en ai retenu une, qui proposait une vision et qui s’imposait entre toutes et où « l’enfant est considéré comme une personne entière et compétente depuis sa naissance ».
Un travail psychanalytique préalable et du développement personnel me permettaient justement cette totale confiance dans la vie qui me traversait et le lâcher prise nécessaire pour l’accueillir inconditionnellement.
Dès son arrivée sur terre, le regard de Mazal, son œil bleu profond et brillant, sans détour, présent, a imprimé la suite. Elle a pris son pouvoir. Depuis je l’accompagne, assure ses besoins, respecte ses rythmes. Elle est mon maître.
Techniquement par exemple, elle me propose une activité et nous mettons en place le programme en listant les besoins : fournitures et achats à effectuer, lieux. Pour le bon déroulement de l’atelier nous faisons appel si nécessaire à une personne compétente comme un chef de cuisine pour la cuisine, un professionnel des espaces verts pour le jardinage, une artiste créatrice pour les arts plastiques.
L’autogestion depuis les premiers gestes a permis une autonomie absolue dans le quotidien. J’avance avec elle.
En avril 2019, j’ai rencontré les quatre membres fondateurs avec lesquels j’allais monter ce projet. Nous avons commencé par nous écouter les uns les autres. Puis, nous avons pu mettre en place les premières réunions de travail.
Chaque enfant est responsable de son éducation, d’une certaine façon. Du coup, que deviennent les habituels enseignants ? Quel est le rôle des adultes présents ?
Il n’y a pas d’enseignants car enseigner c’est faire passer son propre savoir « je sais » à des éléments à qui le désir d’être enseigné n’a pas été questionné.
Il y a un staff des facilitateurs et des intervenants extérieurs, qui servent a tout pour les enfants et ce exclusivement sur la demande de chacun d’eux.
Une école démocratique n’a pas de « classe », les enfants peuvent passer la journée avec ceux qu’ils souhaitent. Quels sont les avantages à permettre ses échanges inter-âges, ce décloisonnement ? Est-il possible de laisser des enfants de 3 ans avec des ados de 18 ans ?
Les enfants passent obligatoirement 5 heures par jour dans l’établissement où ils font strictement ce qu’ils veulent dans un cadre scrupuleusement réglementé. Les avantages sont ceux de la vie normale : observer, copier, s’inspirer, infuser, s’approprier. Ils s’apparient par affinité ou intérêt pour une activité. Ils s’imprègnent, prennent une place, donnent leur avis et installent ainsi leur confiance intérieure. Il va sans dire que les comportements sont bienveillants et le respect mutuel une exigence de base.
Nous proposons un fonctionnement par certification, cela permet l’entraide et le lien entre les différentes capacités de chacun. Il y a des certifications pour du matériel sensible, dangereux ou délicat. Des affiches seront présentes devant les portes, avec le mode d’emploi du matériel, ainsi que les noms des certificateurs membres et facilitateurs. La liberté est donc adaptée à l’âge du membre.
Si une personne non certifiée veut utiliser du matériel, il doit demander de l’aide à une personne certifiée.
Plusieurs livres et sites internet permettent de se renseigner sur le sujet. Si l’on ne devait lire qu’un seul livre, quel serait-il ? Pourquoi ?
« Free at last » de Daniel Greenberg ce livre traduit en français « l’Ecole de la Liberté » retrace l’histoire de la Sudbury Valley School en donnant des clés. Greenberg à travers des exemples vécus depuis 1968, répond aux interrogations liées à l’appréhension du modèle et montre que ce n’est pas une utopie. C’est un livre fondateur.
Où en est le projet ? Une date d’ouverture pour l’école est-elle déjà fixée ? Peut-être des tarifs et des conditions d’admission ?
À ce jour l’ouverture est prévue pour la rentrée 2020. Les tarifs sont à l’étude ainsi que la possibilité d’attribution de bourses selon certains critères. Nous proposons d’offrir une éducation libre à tous les enfants, sans exclusive, qui souhaite s’épanouir en ce pourquoi ils sont incarnés.
Une dernière question sur l’accessibilité à votre école. Les écoles privées ont toujours un coût. N’est-ce pas un frein à la mixité et donc aux possibilités de stimulation entre enfants ?
Il s’agit d’une école pour l’enfance libre, sans programme ni enseignement. Ceci déjà sélectionne, car pour le parent il s’agit d’un choix de société à venir. Chaque parent définissant ses priorités pour ses enfants, peut décider dans quelle direction il investit, le présent ou l’à venir. Quant à la mixité, il n’y a pas d’exclusive dans l’acceptation des enfants. Seules comptent l’envie d’y être et la capacité à s’y épanouir. Par ailleurs l’attribution de bourses est prévue pour ceux qui le nécessiteraient.
Merci beaucoup Manuèle pour ta disponibilité. Nous vous souhaitons tout le meilleur pour l’ouverture des portes de l’école.