Quand on débute en instruction en famille (IEF), que l’enfant soit déjà déscolarisé ou qu’on soit en période de réflexion, une des questions est faut-il faire du formel ou de l’informel ? Cette question est très fréquemment posée sur les groupes de discussions et les réponses déchaînent les passions.
Du coup, j’avais envie de prendre le temps de réfléchir à ces deux termes, à la réalité que cela recouvre et aux confusions que cela peut entraîner.
Formel ou informel, qu’est-ce que ça veut dire ?
Si on s’en tient strictement aux définitions, les apprentissages formels sont des apprentissages structurés avec un cadre et une progression organisée à l’avance.
On opte pour un apprentissage formel quand on va dans une école classique, quand on inscrit son enfant à un cours par correspondance (CPC), quand on décide de suivre un manuel dans l’ordre.
Par opposition les apprentissages informels sont les apprentissages non planifiés. Les exemples sont multiples : apprendre dans un livre que Charles Darwin est à l’origine de la théorie de l’évolution est un apprentissage informel. Participer à une sortie nature et retenir le nom de différents oiseaux également.
Tout être humain pratique les apprentissages informels tout au long de sa vie, en regardant un documentaire sur Arte ou YouTube, en brassant soi-même sa première bière, à chaque visite de musée ou château.
Faire du unschooling, c’est faire de l’informel : vrai ou faux?
Le terme unschooling vient du pédagogue John Holt. En français, l’expression est plus souvent traduite par apprentissages autonomes, un terme qui ne satisfait pas tout le monde. En effet, avec autonome on entend souvent seul. Hors, à aucun moment John Holt ne parle d’apprendre seul, la présence des adultes et de la société est indispensable à la formation des unschoolers*.
Une autre expression, plus juste, serait apprentissages dirigés par l’enfant, d’ailleurs en anglais on parle aussi de child-led learning. Concrètement, l’enfant apprend ce qu’il a envie d’apprendre de la façon qui lui convient le mieux (par opposition aux enseignements classiques dans lesquels l’adulte propose un programme, des thèmes, des pédagogies).
Et c’est là qu’apparaît une rupture entre formel et informel dans le unschooling.
Un enfant qui veut savoir jouer d’un instrument de musique, qui veut aller dans une école et qui décide sur plusieurs années de pratiquer avec un professeur, va faire un apprentissage formel. Pour autant puisque cet apprentissage est motivé et donc dirigé par les demandes de l’enfant, celui-ci est bel et bien en unschooling.
Faire du unschooling, c’est accompagner l’enfant sur les sentiers des connaissances qui l’intéressent lui. Chez les plus jeunes, c’est leur permettre de réserver à la bibliothèque des livres sur les sujets qui les passionnent. Chez les plus grands, c’est leur dire qu’une exposition sur le sujet en question existe et les accompagner. Chez les ados, c’est en général les écouter (et continuer à acheter les livres ou les conduire jusqu’à l’exposition).
Ces livres peuvent tout à fait être des manuels, que l’enfant peut lire de A à Z (avec une approche finalement formelle) ou dans le désordre (informel). Il peut en faire des fiches à la fin de chaque chapitre (formel) ou en discuter avec un copain (informel).
Arrivé à ce stade de la lecture, vous avez probablement compris que la distinction ne doit donc pas se faire entre formel et informel pour l’IEF mais en fonction de vos choix pédagogiques.
Mettre en place des rituels, c’est faire du formel : vrai ou faux ?
Les bienfaits des rituels sont acceptés et reconnus pour les très jeunes enfants, en particulier pour le coucher. Le terme est bien moins accepté pour les plus grands.
Pourtant, la force des rituels est également régulièrement citée auprès des freelances pour les aider à travailler régulièrement. Il en va de même pour les enfants précoces qui ont souvent besoin d’un rythme régulier ou d’un cadre planifié. Et entre nous, décider de manger tous les soirs en famille est une sorte de rituel.
L’utilisation de rituels doit être propre à chaque famille, voire à chaque enfant. Et cela, sans aucun lien avec la pédagogie choisie !
On peut choisir de faire des apprentissages dirigés par l’enfant et mettre en place un petit rituel avant de commencer la journée. Il peut s’agir du morning basket, d’une balade nature d’une heure, du rangement du petit déjeuner tous ensemble ou de l’écoute d’un morceau de musique classique.
En tant que parents, nous avons pour mission de gérer le bien-être de nos enfants, leurs apprentissages mais aussi notre bien-être. Le rituel peut être nécessaire pour nous-même et comme dans toute vie en collectivité, il faut faire en sorte que ça convienne pour tous.
Si on fait de l’informel, l’enfant n’aura pas le niveau : vrai ou faux ?
Cette remarque va avec « si on fait de l’informel, les rendez-vous avec les inspecteurs se passent mal ».
C’est compliqué comme remarque car, comme on l’a vu progressivement ci-dessus, informel est un terme pédagogiquement flou. Je pense que la première chose à faire est d’arrêter de penser en termes de formel et informel. Il faudrait plutôt opposer unschooling / apprentissages dirigés par l’enfant avec cours par correspondance, Montessori, Steiner, manuel, etc. La première différence est qu’en agissant ainsi, vous vous placez sous l’égide d’un véritable pédagogue et que de nombreux textes ont été écrits sur le sujet, avec même quelques études sur le devenir des enfants. Et ça, c’est rassurant pour les parents, les proches et les inspecteurs.
Pour rester sur la question de l’inspecteur, ce que ce dernier veut, ce sont des traces des apprentissages. Toute trace est bonne, même une vidéo dans laquelle l’enfant explique en détail comment il a construit un robot, ou des extraits des lettres envoyées à un correspondant. Par ailleurs, l’inspecteur ne doit pas évaluer un niveau sur une année précise, mais des compétences sur un cycle. Je vous invite vraiment à lire le socle de compétence (et rien d’autres) pour mettre les apprentissages en perspective.
Ensuite, je pense aussi sincèrement (c’est personnel, donc on en discute en commentaire si vous le souhaitez), que lorsque l’on s’intéresse vraiment à un sujet, rares sont ceux à faire de l’informel pur et dur.
Je prends en exemple ma fille qui a eu une période robotique.
Elle voulait coder, construire un robot, comprendre comment tout ça fonctionne. Nous lui avons acheté un livre, Ingénieur académie, elle a choisi de suivre un cours sur le site Code.org et elle a bricolé un robot. Elle emprunte encore aujourd’hui régulièrement tous les livres sur les robots qu’elle trouve à la bibliothèque. Techniquement rien n’est planifié ni organisé. Toutefois d’elle-même, elle a d’abord choisi des livres accessibles, en rayon enfant, avant de jeter un œil au rayon adulte presque deux ans plus tard. Le livre Ingénieur académie a été lu ensemble du début à la fin, dans l’ordre, tandis que toute seule elle piochait dedans dans le désordre.
Les apprentissages, c’est comme gravir une colline. Si on est sérieux dans ce que l’on veut apprendre, on fixe le sommet des yeux et on avance dans cette direction. On peut donc voir ça comme une progression organisée (l’objectif est clair) et on peut évaluer les progrès (en discutant ensemble et en utilisant du vocabulaire de plus en plus précis). Bien sûr, des détours auront lieu, l’objectif peut même évoluer, mais il s’agit alors d’un autre sommet pas si éloigné.
Pour aller jusqu’au bout de mon idée, je pense que si l’on s’obstine à faire de l’informel pur et dur, on empêche même l’enfant d’aller au bout de ses apprentissages. Peut-on vraiment lui interdire un manuel car le livre est utilisé dans les écoles ? Peut-on lui refuser de participer à des ateliers car l’animateur a une idée de ce qu’il veut transmettre sur plusieurs séances ?
Faire l’IEF, c’est choisir une pédagogie et s’adapter en permanence
Un proverbe dit « Si tu veux faire rire la Destinée, raconte-lui tes projets ».
C’est une phrase qui prend encore plus de sens en parentalité. Avant même l’accouchement, on imagine nos enfants, notre vie avec eux ou juste notre quotidien sans école… Et puis il y a l’enfant, avec sa personnalité, ses attentes et ses goûts. Il y a le quotidien, les horaires d’ouverture des musées proche de chez nous, la pandémie, les amis qui vivent plus ou moins loin.
On commence donc avec une idée, une pédagogie choisie rapidement ou après de nombreuses lectures. Cela peut même être un bricolage personnel, avec du Charlotte Mason pour la découverte du monde, un manuel pour le français et la méthode des frères Lyon pour les maths.
Puis on doit adapter, en fonction de chaque enfant, accepter un peu plus de lâcher prise ici, un peu plus de rituel le matin pour bien démarrer ou un prof hyper strict en solfège (que nous aurions détesté avoir et que notre enfant adore et avec qui il progresse), etc.
Pire, ce qui marche une année, un semestre ou un mois, pourra brutalement ne plus fonctionner du tout. Et tandis qu’un enfant appréciera le même cours par correspondance pendant plusieurs années, un autre enfant, parfois de la même famille, aura besoin de changement chaque année.
Conclusion : au-delà du formel ou informel, trouver l’équilibre
La raison pour laquelle, j’avais envie de rédiger cet article, c’est qu’au final, l’opposition formel / informel est un faux débat.
J’ai évoqué le fait qu’en optant pour le unschooling, on se retrouve toujours confronté à du formel. Il en va exactement de même quand on décide de suivre un cours par correspondance ultra complet. La première sortie au musée, le moindre jeu de société, un gâteau réalisée à l’aide d’une recette et voilà l’enfant qui apprend de façon informelle !
Le plus important est finalement dans l’équilibre de la famille, celui qui permet aux enfants d’être suffisamment stimulés et confiants et celui qui permet aux parents d’atteindre leurs propres objectifs.
* Quelques citations de John Holt sur le rôle des parents
« We can best help children learn, not by deciding what we think they should learn and thinking of ingenious ways to teach it to them, but by making the world, as far as we can, accessible to them, paying serious attention to what they do, answering their questions–if they have any–and helping them explore the things they are most interested in. »
Traduction personnelle : « Nous pouvons mieux aider les enfants à apprendre, non pas en décidant ce qu’ils doivent apprendre, ni en élaborant de nouvelles façons d’enseigner, mais en créant un monde, autant que nous le pouvons, qui leur soit accessible, en prêtant attention à ce qu’ils font, en répondant à leurs questions (s’ils en ont) et en les aidant à explorer les sujets qui les intéressent le plus. »
« That’s not to say that children must discover everything unaided. We can help them in several ways. We can so arrange the materials put before them that discovery is made more likely. Real learning is a process of discovery, and if we want it to happen we must create the kinds of conditions in which discoveries are made. We know what these are. They include time, leisure, freedom and a lack of pressure. »
Traduction personnelle : Cela ne veut pas dire que les enfants doivent tout découvrir sans aide. Nous pouvons les aider de différentes façons. Nous pouvons installer le matériel pour eux afin de rendre la découverte plus accessible. Le véritable apprentissage est un processus de découverte et si nous voulons que cela se produise, nous devons créer les conditions qui permettent aux découvertes de se produire. Nous savons de quoi il s’agit. Ces conditions incluent du temps, des loisirs, de la liberté et une absence de pression.