Lors des rencontres entre enfants non-scolarisés, la première chose que l’on remarque est la proportion de mamans. Dit autrement, les papas sont absents ou peut-être simplement invisibles. On pourrait se dire qu’on est simplement dans une reproduction du schéma classique dans nos sociétés occidentales avec maman auprès des enfants et papa qui rapporte de l’argent. Et puisque c’est chronophage, il faudrait donc être mère au foyer pour faire l’IEF…
Pourtant, je fréquente des familles ayant choisi l’instruction en famille depuis 8 ans et je dois dire que cette vision, bien que juste, n’est pas suffisante. Elle est limitante par bien des aspects.
Tous les témoignages sont des textes reçus suite à un appel à témoigner que j’ai anonymisés et dont j’ai éventuellement corrigé quelques erreurs. Autrement, je les ai gardés intacts. Ce sont des réponses de femmes, sauf mention contraire. Merci à tous les participants.
« Papa non impliqué, il ne vient pas au RDV, il intervient le soir que si je n’arrive pas à expliquer. Pour le moment, je ne travaille pas. Je peux donc gérer l’IEF pour mon fils en CM2 😀. »
« Ici nous travaillons à temps plein tous les deux, moi de nuit pour gérer l’IEF pour ma fille de 5 ans plus deux ados 12 et 14 ans même si elles sont autonomes. Le papa est impliqué mais c’est moi qui fais du formel la journée plus les sorties. Nous sommes toujours deux aux contrôles. »
La maman, pilier de l’instruction en famille
Il ne faut pas se leurrer, de la même façon que ce sont les mères qui gèrent les rendez-vous chez le médecin, l’achat des vêtements avant que tout ne soit trop petit et les cadeaux d’anniversaire pour les copains, elles sont essentielles dans l’instruction en famille.
Ce sont elles qui, sur les forums et lors des rencontres, ont des questions sur la législation, le socle commun, les dates pour s’inscrire au brevet. Ce sont elles encore qui adhèrent à des associations et qui deviennent bénévoles.
Mais où sont les pères ?
Pssst : j’adore discuter et échanger en commentaire, mais inutile de venir dire « pas tous les hommes » ou sa variante « pas mon conjoint ». Mes propos reposent sur certains chiffres publics : 85 % des rendez-vous pris pour les enfants sur Doctolib le sont par la mère (source) ; En 2016, 80 % des femmes effectuent 1h de tâche ménagère par jour contre 36 % des hommes (source – oui, ça date un peu mais ensuite je n’ai trouvé que des chiffres pendant les confinements).
Une répartition encore souvent « genrées » des tâches
Je pars vraiment de mon expérience et des familles que je côtoie, ainsi que des retours que j’ai eu sur Facebook. Cela ne concerne pas assez de famille pour faire des généralités, mais assez pour se poser et y réfléchir.
Les sorties au parc ainsi que toutes les activités où les parents restent (à distinguer des activités où l’on dépose l’enfant avant de partir faire autre chose) sont gérées par les mamans. La seule exception que j’ai est un atelier scientifique (et j’en reparle juste après, cela ne me semble pas un hasard). L’ennui est que cela crée un cercle vicieux. Il y a quelques années, j’organisais des pique-niques de non-rentrée et on me demandait si des hommes avaient prévu de venir. La demande venait de mères qui tentaient de convaincre leur conjoint qu’il ne serait pas le seul homme. Mon amoureux servait d’appât en septembre et même le reste de l’année, s’il annonçait sa présence à telle ou telle sortie, d’autres pères venaient, parfois même à la place de la mère. Quand il a recommencé à travailler avec des horaires classiques, son absence a créé un effet domino…
De plus, aussi bien certains inspecteurs que certains parents trouvent normal que la mère supervise l’instruction de quasiment tout sauf… les matières scientifiques. Et oui, après tout la physique et les mathématiques sont des disciplines qui nécessitent un certain chromosome Y pour être enseignées. C’est probablement pourquoi les pères accompagnent les sorties au planétarium mais n’ont jamais mis un pied au club lecture.
Donc les pères sont présents s’il y a d’autres hommes ou s’il s’agit de montrer une certaine virilité en manipulant des chiffres ou des produits chimiques.
« Ici, nous travaillons tous les deux à temps partiel, on s’occupe tous les deux de l’IEF de nos deux filles et nous sommes tous les deux présents aux contrôles ! nos filles ont 3 et 6 ans, mais nous sommes en unschooling donc très peu de formel. Pas de matières attitrées donc mais globalement je suis plus littéraire et mon mari plus scientifique, donc on se complète pour répondre à leurs questions. »
Réponse d’un père : « Je m’occupe des matières scientifiques et histoire/géographie/EMC. Ma femme les matières littéraires. C’est ma femme qui prend les rendez-vous mais nous y allons ensemble. »
« Chez nous, papa travaille et moi je suis au foyer. Donc forcément je m’occupe davantage de l’instruction. Mais il participe aussi. On est pas mal en unschooling donc s’il y a un une opportunité d’apprendre quelque chose et que c’est lui qui est présent il va s’y « engouffrer ». Il est aussi passionné d’histoire, de socio, géopolitique, etc. donc je le laisse gérer ça. Et le sport également c’est son domaine. »
« Je gère tout de A à Z pour mes niveaux 6eme et GS : planifier le programme annuel, organisation de l’emploi du temps, les cours… Le papa approfondit les maths et les sciences et revoit les notions vues dans la semaine pour le grand. Il assiste également à tous les contrôles pédagogiques. On se partage les activités sportives. »
Enfin, c’est lors des rendez-vous dans les locaux de l’Éducation Nationale que je croise le plus de père. Ils accompagnent souvent la famille. Je comprends l’aspect pratique pour certains (le père reste avec l’enfant pendant que la mère répond aux questions). Cependant, mon expérience m’invite à demander aux pères qui ne sont pas vraiment impliqués dans l’instruction à ne pas y aller. En effet, l’inspecteur s’adresse à la figure d’autorité, le père donc, pour toutes ses questions, même si celui-ci est juste là en guise de soutien (et ne sait donc pas répondre) !
Parent au foyer semble être l’idéal
Je râle mais gentiment. Je ne veux me fâcher avec personne et surtout je pense véritablement que pouvoir être totalement dédié à l’instruction de ses enfants est la meilleure organisation qui soit. Il faut juste bien prendre en compte que le parent qui le fait (car quelques hommes assument tout de même cette responsabilité) ne pratique pas un loisir, ne fait pas que s’amuser, même s’il s’amuse vraiment.
« Le papa travaille pendant que je gère l’IEF avec ma fille. Il me soutient dans cette démarche et vient au contrôle pédagogique quand c’est possible. »
Réponse d’un père : « Chez nous c’est moi (le père) qui gère l’IEF (à 99%). »
« Chez nous je suis maman au foyer et le papa travaille, il en faut bien un des deux !!! C’est moi qui gère l’IEF : « cours » (entre guillemets car c’est la petite section !), activités manuelles, jeux… mais le papa est très investi quand même et participe à beaucoup de chose, et peut être présent aux rendez-vous officiels, selon ses horaires et congés ! »
« Pour notre foyer, les deux parents travaillent. Nous avons une fille scolarisée au collège et une en IEF en cm1. Je travaille de nuit (paramédicale en hôpital), j’assure les cours la journée. Le père s’investit pour le sport et la musique. Il gère aussi la grande pour les devoirs et les transports beaucoup plus que moi. Il n’aurait pas la patience pour les cours mais il gère aussi les devoirs de la petite que je donne parfois. »
« Ici, c’est le papa qui gère l’IEF, surtout depuis que j’ai repris les études. Instruction formel le matin. Il gère les sorties IEF. Il travaille aussi (professeur de piano en conservatoire). »
Je pense que le fait d’être mère au foyer devrait être justement rétribué. C’est un travail qu’elle fournit qui permet à un homme d’avoir des enfants, de ne passer avec eux que des moments sans trop de contraintes (les week-ends et les vacances), de les voir s’épanouir. Pour cela, elle a besoin du soutien du conjoint. C’est un premier pas qui n’est pas si fréquent et qui soulage pourtant tellement. Elle a besoin de reconnaissance et donc de la possibilité d’acheter du matériel mais aussi de prendre des jours de repos (comme des vacances ou plus exactement comme des congés payés).
Instruire les enfants est un vrai boulot. Quand on est penché sur une feuille de maths, en s’assurant que l’aîné est à l’heure à son cours d’allemand en ligne, on ne peut pas en même temps passer l’aspirateur, s’arrêter à la Poste, souhaiter joyeux anniversaire à la grand-mère.
Alors même si pour l’instant l’IEF est effectivement majoritairement pris en main par des mamans au foyer, bravo à elles qui font tant.
Mais si on ne peut pas être maman au foyer, il ne faut pas rejeter en bloc cette possibilité d’instruction. De nombreux parents travaillent et instruisent alternativement leurs enfants, à l’aide d’un emploi du temps assez minuté. Certaines mamans solos travaillent et instruisent. D’autres, en couple, ont un revenu complémentaire, avec juste quelques heures par-ci par-là. L’IEF est un choix marginal, il n’y a donc pas vraiment de règles ou de normes pour bien faire. À chaque famille de trouver son équilibre !
« On travaille tous les 2, moi à temps partiel (secrétaire) que les après-midis. Le papa est agriculteur, il leur fait l’école l’après-midi. Quand on a des rendez-vous le matin et il est quand même présent au rendez-vous. »
« Je suis maman solo donc pas de papa impliqué dans l’école maison ici 😉 Oui, je travaille et oui, je gère aussi 100% de l’école maison. »
« Je travaille 24h semaine le soir (dans la restauration rapide) afin de pratiquer l’IEF avec mes enfants en unschooling la journée. Le papa travaille à temps plein et est présent le week-end pour que je puisse me reposer. Il ne s’implique pas officiellement et ne va pas aux rendez-vous. Mais prend son rôle de père a ♥. Il leur apprend pleins de choses : bricolage, jeux de société complexe… Cela nous convient parfaitement. »
« Ici, on bosse ensemble sur l’exploitation et on fait aussi l’IEF ensemble. Pour l’instant il est en maternelle. [Pour la répartition de l’instruction] ça dépend, on va parfois le faire « tous ensembles » en partage et parfois ça va dépendre de qui l’enfant va voir. Sachant qu’il a aussi entre 3 et 6h par semaine avec 1 amie qui a le bac et pas nous. »
« Ici nous sommes séparés et le papa est contre l’IEF… Donc il ne va pas aux rendez-vous, etc… Je m’occupe de tout je ne travaille pas pour le moment. »
Intéressants tous ces témoignages ! Et ils illustrent bien à quel point les choses sont déséquilibrées… Peut-être de manière moins évidente qu’autrefois, mais beaucoup de charge mentale reste tout de même sur les épaules de la mère.
L’inconvénient des témoignages reçus est qu’il porte un biais. On a rarement envie de dire en public que son mari ne fait rien à la maison, qu’on fait tout et qu’on en a marre. Surtout au milieu de tant de témoignages mettant en avant des papas formidables…
Donc les choses changent, mais c’est très très lent.