La littérature n’est pas officiellement une matière au sein de l’Éducation nationale. On parle de français, tandis qu’en classe de première puis en terminale, les lycéens peuvent éventuellement choisir en cours de spécialité Humanités, littérature et philosophie.
Pourtant dès que l’enfant sait lire, on va plus loin que le simple déchiffrage des lettres. On cherche à saisir le sens premier ainsi que toutes les subtilités qui se cachent dans chaque texte. Et ça, c’est de la littérature, soit une matière très accessible dès qu’on ose donner son avis. Voici quelques astuces pour faire de la littérature en famille, sans aucune limite d’âge et sans pression scolaire. Je vous propose entre autres une série de questions pour débuter les discussions.

S’intéresser aux livres et non juste aimer lire
On peut lire dans le but d’emmener son esprit loin de son quotidien, sans forcément chercher plus que le plaisir immédiat d’être dans un autre univers, de vivre différentes émotions. C’est une façon tout à fait OK de lire mais ici, dans le but de faire de la littérature sans en avoir l’air, cela ne suffit pas.
Il s’agit d’être une « famille » d’amateurs de livres, avec toute la prétention que certains mettent derrière le mot « amateur ». Ainsi l’amateur de vin connaît le nom des cépages et les saisons. L’amateur de football connaît le nom des entraîneurs. Ces connaissances permettent de faire des comparaisons et même d’avoir un avis sur les points forts et les faiblesses de chacun (du cépage aux joueurs en passant par les livres).
C’est la démarche que nous vous proposons d’essayer. Être amateur / amatrice de livres pour en parler. Être amateur ou amatrice pour oser donner son avis (en réalité sans prétention) dans le cadre familial ou amical, voire à la bibliothèque ou en librairie.
Les livres ont souvent un côté « sacré ». Je sais que de nombreuses personnes n’osent pas dire « j’ai détesté ce roman d’Amélie Nothomb » ou « je n’ai jamais réussi à finir un roman de Victor Hugo ». On se tait ou on se cache derrière une image de cancre en vantant les astuces qui nous ont permis de valider tout de même certaines années scolaires. C’est en gros le problème que j’avais avec la poésie (je vous en parlais dans mon article pour faire aimer la poésie).
Pour bien démarrer, il faut donc accepter que tout ce qui a une couverture et des pages est un livre et que tout peut plaire à quelqu’un. Il faut prendre en compte le livre dans son intégralité : le titre, la couverture, l’auteur ou l’autrice, la texture du papier, les illustrations, la police d’écriture et enfin le texte (l’histoire, les mots, le rythme, etc.).
Puis, il faut laisser à chacun la possibilité de donner son avis argumenté !
Imaginez votre livre, votre film ou votre chanson préférée. Imaginez qu’au moment d’en parler à quelqu’un, celui-ci vous dise « ça ! Mais c’est pas un vrai truc ! C’est nul ! ». Il n’est pas difficile d’imaginer la honte, la gêne puis la peur d’oser en reparler suite à ça.
Peu importe ce que votre enfant aime, cela mérite d’être écouté et discuté. Ne serait-ce que pour lui montrer que vous vous intéressez à lui, même sans forcément partager son avis.

Lire ensemble
Il est plus facile de discuter d’un livre que tout le monde a lu. On évite l’étape du résumé et surtout cela permet d’aller plus loin dans les échanges. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails pour s’esclaffer en se remémorant Paddington qui prend un bain pour la toute première fois de sa vie par exemple.
On peut lire le même livre chacun de son côté puis se retrouver, en club lecture ou ailleurs. Lors d’un temps en famille, un adulte peut confronter les souvenirs d’une ancienne lecture avec un texte récemment découvert par l’enfant. Enfin, on peut vraiment lire ensemble. J’ai déjà écrit un article de conseils pour lire à voix haute.
Il n’y a aucune raison valable pour arrêter de lire à voix haute à son enfant dès qu’il sait lui-même lire. Chez nous, on lit le plus souvent à table, car je termine mon repas la première. Ce sont des romans que nous choisissons ensemble, que je sais parfait pour discuter ou sur un thème qui va nous plaire à toutes les deux. On débute en résumant ensemble les dernières pages puis je lis un peu. Enfin, on discute de ce qu’on a lu, du comportement de tel ou tel personnage, de ce que l’on espère pour la suite.
Mais on peut aussi lire ensemble des livres différents !
Dans certains établissements scolaires ou tout simplement dans certaines classes, il existe le quart d’heure lecture. Ce temps bien précis permet de lire et rien d’autre. Peu importe ce qu’on lit.
En famille, on peut tous être dans le canapé avec son propre livre. Bon en réalité chez nous, ces temps de lecture ensemble se font surtout dans les transports en commun et les salles d’attente, dans la cuisine car il ne reste que 5 minutes avant que le repas ne soit prêt (oui, debout contre un meuble) et au petit déjeuner (seul repas où les livres sont autorisés).
Avoir lu le même livre simplifie les choses mais ce n’est pas indispensable pour construire des échanges passionnants et donc développer un regard critique envers les livres.
Avoir des échanges autour des livres
Faire de la littérature, c’est chercher c’est aller plus loin que juste le plaisir de l’histoire. Comme je le disais en introduction, c’est possible en famille, sans se mettre la pression. L’idée est de créer des temps de discussion ensemble, chacun sur son livre, même si personne d’autre ne l’a lu. Ce n’est pas mettre en place un interrogatoire.
Pour cela j’utilise plusieurs questions. Si certaines m’ont été inspirées par des lectures que j’ai eu sur le sujet, le résultat final vient de plusieurs années à animer un club lecture.
En famille, je pense que l’idéal est de retenir par cœur les questions pour faire comme-ci elles nous venaient à l’esprit en papotant (mais vu que je pose toujours plus ou moins les mêmes questions, cela fonctionne grâce à la suspension de l’incrédulité de la part de ma fille). Mais avec l’entraînement, certaines viennent effectivement naturellement et ensuite d’autres se forment. Une seule question par livre peut suffire.

Le principe est simple, cela doit être une question ouverte. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses tant qu’on essaye de dire pourquoi on a tel avis.
Voici ma liste, elle est totalement indicative. J’essaie de vous proposer des exemples et des réponses possibles.
– Qu’est-ce que le personnage principal souhaite le plus avoir ?
Que souhaite avoir Alice dans Alice au pays des merveilles ?
– Est-ce qu’il/elle aurait dû / n’aurait pas dû faire ça ?
Marie dans Casse-Noisette, aurait-elle dû rester dans sa chambre plutôt que de suivre Casse-Noisette dans l’armoire ? Une question qui ouvre sur le fait de respecter les règles, de la peur du noir et de l’inconnu, de l’impossibilité d’avoir une histoire si l’héroïne ne le fait pas, etc.
– En quoi X ressemble à Y ? En quoi X est différent d’Y ? (l’une ou l’autre formulation)
En quoi Méduse ressemble-t-elle à Athéna ?
– Qui est le plus ____ dans cette histoire ?
Et là on met l’adjectif de son choix. Qui est le plus courageux, joyeux, fiable, sincère, malin…
– À quoi t’a fait penser ce récit ? Ou à qui t’a fait penser tel personnage ?
L’idée ici est de créer des liens entre différents éléments et tout ce que chacun a déjà dans sa tête. Les plus jeunes commencent avec tel personnage qui ressemble à tonton, puis tel passage à tel épisode de dessin animé. Et finalement, à force de créer des liens (on se constitue une sorte d’immense toile d’araignée culturelle) on peut associer des romans entre eux.
– De quoi tel personnage a le plus peur ?
Quand on n’a pas lu le roman, le plus simple est de questionner sur le personnage principal mais cela peut s’appliquer à n’importe quel personnage.
De quoi Tobie Lolness a le plus peur ?
De quoi le lapin blanc d’Alice a-t-il le plus peur ?
– Si tu étais l’éditeur de ce livre, que souhaiterais-tu que l’auteur change ?
Ça c’est ma question préférée car il est vraiment facile de creuser la structure du livre. Cela peut concerner le titre, la couverture, tout ce qui fait le livre.
Si on répond « je voudrai une fin heureuse », on peut répliquer : mais alors est-ce que cela ne changerait pas tout le message du livre.
Avec « je voudrai plus de détails sur ça et ça » alors on peut poursuivre avec : est-ce que tu ne penses pas que ça ralentirait ou gênerait la lecture, ne faudrait-il pas plutôt commander un autre livre.
– Qu’est-ce qui t’a le plus surpris ?
Elle est dans ma liste car ça fonctionnait très bien avec mes jeunes lecteurs (jusqu’à 10 ans), pour les pré-ados, la question laisse souvent des blancs.
– Quel personnage te fait le plus penser à toi ?
Ça aussi c’est une superbe question, car parfois le personnage ne ressemble en rien à la personne à qui on pose la question. Donc il faut se creuser la tête pour trouver un détail qui serait un point commun.
– Que souhaites-tu ne jamais oublier de ce livre ?
Celle-ci je la pose autant que possible à chaque club lecture car si les petits me parlaient d’un passage préféré (et souvent drôle), les grands sont plus profonds. Quand on a lu une biographie sur Nelson Mandela, c’était hyper intéressant car c’est là que sont sortis des éléments que personnes n’avaient évoqué avant (sur les conséquences de la prison sur sa famille, sur la résilience, la foi en ce qui est juste, etc.).
– Propose un nouveau titre.
– As-tu déjà lu d’autres titres du même auteur ?
C’est le point de départ à une réflexion sur qui est l’auteur ou l’autrice, ce qu’il ou elle a écrit. Parfois cela permet de repérer des points communs, de prendre en compte le pays ou l’époque, etc.

Ce ne sont que des pistes pour bien commencer
Les pistes ci-dessus sont là pour débuter en littérature en famille, que l’on soit en instruction en famille ou non. Cela reste un sujet extrêmement large qui évolue selon l’âge et les centres d’intérêt des personnes qui discutent.
En science-fiction, il est facile d’abandonner l’histoire pour se concentrer sur le système politique en place ou sur certaines technologies imaginées par l’auteur ou l’autrice. En fantasy, le risque est grand de devoir faire face à des biais sexistes (dans le meilleur des cas). Puis il y a les tranches de vie, les récits historiques et même les romances, les contes et tant d’autres. Les présentations en librairie et dans les manuels donnent l’impression qu’il y a des barrières que de nombreux professeurs de français tentent de détruire en mettant côte à côté Princesse Mononoke et Alice au pays des merveilles par exemple, un dessin animé japonais et un classique britannique qui doit beaucoup à la poésie et à une époque et une langue précise. Et pourquoi pas ? C’est aussi ça le plaisir d’être lecteur et lectrice. Se créer sa propre bibliothèque et laisser des personnages d’univers distincts se côtoyer, imaginer s’ils pourraient devenir amis…